Introduction *
I Manifestations et effets de la prospérité *
A. La mesure de la croissance *
1. Le rythme de la croissance *
2. La géographie de la croissance *
B. Les dynamismes sectoriels *
1.Les secteurs moteurs *
2. Le boom de l'industrie pétrolière *
3. Les mutations des secteurs d'activité *
C. L'avènement de la société de consommation *
1. L'équipement des ménages *
2. Une vie quotidienne transformée *
II Les facteurs de la croissance *
A. L'offre *
1. L'épanouissement de la seconde révolution industrielle *
2. Le rôle des innovations *
3. La transformation de la main d'uvre *
B. La demande *
1. L'augmentation du nombre de consommateurs *
2. Le développement des échanges *
3. L'augmentation du pouvoir d'achat *
C. L'Etat *
1. Les progrès du dirigisme *
2. L'Etat-providence *
III Les déséquilibres et les limites de la prospérité
*
A. Une croissance inégalement partagée *
1. Les inégalités à l'échelle de la planète
*
2. Les inégalités régionales *
B. La contestation de la croissance *
1. Les oubliés de la croissance *
2. Essor de la contre-culture *
3. Les interrogations sur la croissance *
C. L'inflation et l'ébranlement du système monétaire international.
*
1. Une inflation endémique *
2. La remise en cause du SMI *
Conclusion *
Introduction
A près 10 ans d'une terrible dépression économique et 6
ans d'un conflit mondial qui a détruit un nombre considérable
de richesses, le Monde et en particulier les pays développés ont
connu une prospérité économique pendant environ 30 ans
de 1945 au début des années 70.
Une prospérité économique sans précédent
dans l'histoire économique par sa durée et par son ampleur. Un
caractère exceptionnel qui méritait de lui attribuer un nom et
c'est l'expression de l'économiste français Jean Fourastié
que l'Histoire a retenu, les 30 glorieuses (à vous de deviner l'origine
de l'expression).
Ces 30 glorieuses sont-elles donc si exceptionnelles au point de parler pour
certains pays de "miracle économique " ou n'est-ce pas plutôt
une phase de croissance anormalement longue qui prend sa place dans les cycles
réguliers de l'histoire économique ?
L'étude des manifestations de la prospérité dans ses aspects
économiques et sociaux permet d'établir les facteurs qui ont favorisé
la croissance mais montre également les déséquilibres qui
annoncent déjà un retournement de la conjoncture.
I Manifestations et effets de la prospérité
La mesure de la croissance
1. Le rythme de la croissance
La prospérité économique se mesure avant tout par la croissance
économique, c'est à dire la mesure de l'évolution du PNB.
Ainsi le PNB mondial passe de l'indice 100 en 1950 à l'indice 270 en
1970. Ces chiffres parlent peu mais la comparaison avec d'autres phases de croissance
est édifiante.
Doc.1 p.100 : La croissance économique mondiale annuelle a été
en moyenne de 5% par an entre 1950 et 1973, jamais phase de croissance ne fut
plus soutenue ni si longue (Ce document est idiot car il compare l'incomparable,
en effet les périodes représentées prennent en compte des
phases de dépression !)
D'autre part, et plus spectaculaire encore, cette croissance s'est effectuée
sans recul d'une année sur l'autre. Il y a bien eu quelques paliers,
comme en 1948-1949 à la fin de la reconstruction européenne ou
en 1953-1954 après la guerre de Corée, mais pas de recul. A tel
point que quelques contemporains ont envisagé la fin de l'alternance
des phases d'essor et de récession, célébrant ainsi la
fin des crises et des malheurs.
Bref, une croissance qui semble miraculeuse et sans fin.
2. La géographie de la croissance
p.111 : Présentation du document : tableau statistique à double
entrée présentant l'évolution du taux de croissance annuel
moyen des 6 pays les plus riches du Monde pour chaque quinquennat entre 1950
et 1975. Source OCDE. Idée générale : une croissance généralisée
qui s'essouffle dans le dernier quinquennat et certains pays ont connu des taux
de croissance supérieures aux autres. Ces derniers sont les pays vaincus
de la Deuxième Guerre mondiale et aussi ceux qui ont connu le plus de
destructions : Japon et Allemagne. Ces deux pays font figure de "miraculés
" et ces pays déchargés de toute responsabilité mondiale
ont pu se consacrer à leur reconstruction pour devenir ainsi les deuxième
et troisième puissances économiques mondiales. En revanche on
peut noter le déclin relatif des Etats-Unis et du Royaume-Uni, même
si la période fut également prospère pour ces deux pays.
Si la croissance est manifeste partout mais différente selon les pays,
il en est de même pour les divers secteurs de l'économie.
Les dynamismes sectoriels
1.Les secteurs moteurs
Ces 30 glorieuses sont synonymes d'industrialisation, mais en fait un essor
industriel sélectif.
Doc.2 p.100 : Les industries liées à la seconde révolution
industrielle sont celles qui bénéficient des plus forts taux de
croissance alors que les industries de base (sidérurgie, textiles, chimie
de base) ont connu une progression plus faible.
Bref, les industries de biens de consommation, les industries de pointe et en
particulier les industries liées aux transport (sauf le chemin de fer)
vivent leur âge d'or. Cette prospérité est d'autant plus
bénéfique pour l'activité car ce sont des industries dites
"industrialisantes ", c'est à dire qu'elles entraînent
le reste de l'économie en amont comme en aval.
2. Le boom de l'industrie pétrolière
Cette croissance industrielle a pour conséquence une mobilisation énergétique
de plus en plus importante. Le doc.2 p.100 apporte la solution : le pétrole
est devenu le carburant de la croissance. C'est une source d'énergie
abondante, bon marché, à fort pouvoir énergétique
(l'énergie d'une tonne de pétrole = l'énergie de 2 tonnes
de charbon), facile à stocker et transportable, et en plus qui fait rouler
les automobiles lorsqu'il est transformé en essence ! Cette énergie
est de plus en plus utilisée sous sa forme électrique pour le
fonctionnement des biens de consommation. En conséquence la production
d'électricité est également en forte croissance.
3. Les mutations des secteurs d'activité
Inévitablement les progrès de l'industrialisation impliquent une
modification de la répartition des actifs dans les trois secteurs d'activité.
Le doc.2 p.107 montre ainsi que les effectifs du secteur primaire baissent.
En effet avec les progrès de la mécanisation, l'agriculture a
besoin de moins de bras. Le secteur secondaire (l'industrie) connaît en
revanche une hausse de ses effectifs mais une croissance qui reste modeste en
raison des gains de productivité des entreprises. Surtout, l' "explosion
" du nombre de "cols blancs " c'est à dire des personnes
travaillant dans les services, témoigne des changements intervenus. L'exode
rural, la progression du nombre d'urbains et surtout de suburbains (les banlieusards),
le travail en usine ou dans un bureau, l'assurance d'un salaire fixe tombant
à chaque fin de mois vont profondément modifier les conditions
d'existence des populations des pays développés.
L'avènement de la société de consommation
1. L'équipement des ménages
Cette croissance exceptionnelle a ouvert au plus grand nombre les portes de
ce que l'on a appelé dès les années 60, la société
de consommation. Quoique la société de consommation, les Américains
la connaissent et la pratiquent depuis avant-guerre. Il s'agit donc pour les
autres, les Européens et les Japonais, de rattraper leur retard, de copier
le modèle américain triomphant, l'american way of life.
Cette société de consommation empruntée aux Américains
se développe grâce à l'influence culturelle des Etats-Unis
mais surtout en raison des nouvelles conditions de vie décrites ci-dessous,
et en particulier le mode de vie urbain. Dès les années 50, la
phase de reconstruction terminée en Europe, les Européens et les
Japonais s'équipent à la mode américaine en biens de consommation.
Le doc.1 p.102 est sans équivoque sur l'équipement des ménages
français : téléviseur, réfrigérateur, lave-linge,
automobile, etc... Il faut dire que tout poussent à la consommation :
la réclame (doc.6 p.101), l'accès au crédit, la tentation
offerte par ces nouveaux temples de la consommation que sont les supermarchés
( doc.3 p.103) et les foires (doc.3 p.107). Tout simplement avoir une voiture
aussi moderne que celle de votre collègue, avoir un salon ou une cuisine
pas moins équipée que celle de votre voisin sont autant de facteurs
qui poussent à la consommation. En fait, la consommation n'a pas seulement
pour but de satisfaire des besoins, elle a aussi une autre signification pendant
ces 30 glorieuses : l'affirmation d'une position sociale, une sorte de "je
consomme donc je suis " aurait peut-être dit Descartes s'il avait
été un contemporain. ( Pour les cinéphiles, " Playtime
" de Jacques Tati est un " must see ")
2. Une vie quotidienne transformée
Ces nouvelles habitudes transforment complètement la famille : "
Moulinex libère la femme " n'est pas un mythe mais bien une réalité.
Regardez cette femme heureuse et épanouie de la publicité Frigidaire
p.99, qui enfin va pouvoir consacrer plus de temps à l'éducation
de ses enfants, à ses loisirs ou tout simplement pourra envisager de
rentrer dans la vie active comme bon nombre d'autres femmes (docs.3 et 4 p.357).
Dorénavant le budget familial a changé. L'équipement, la
santé et surtout les loisirs prennent une part croissante dans les dépenses
des ménages. Le soir, dîner devant la télé, le samedi
au supermarché, le dimanche dans les embouteillages pour pique-niquer
à la campagne : c'est le progrès (?) apporté par les 30
glorieuses. Finalement mieux qu'un long discours, la célèbrissime
comparaison entre les villages de Madère et Cessac par Jean Fourastié
(doc.4 p. 107) permet de saisir les changements induits par ces 30 de prospérité.
(à lire absolument !)
Bref, pour de nombreux pays, en particulier la France, les 30 glorieuses ont
signifié l'entrée dans le monde moderne. Et les nouvelles habitudes
de consommation induites par ces changements ont en fait alimenté la
prospérité et participent ainsi aux nombreux facteurs qui expliquent
l'ampleur et la longévité de la prospérité.
II Les facteurs de la croissance
A. L'offre
L'économie capitaliste répond à une loi simple : celle
de l'offre et de la demande. La conjoncture économique dépend
de la résolution de cette équation. L'explication de la prospérité
des 30 glorieuses n'échappe pas à cette règle : Davantage
d'offre et davantage de demande ont été les carburants de la croissance.
1. L'épanouissement de la seconde révolution industrielle
En ce qui concerne l'offre, les progrès ont été remarquables
au cours de la période et correspondent à l'épanouissement
de la seconde révolution industrielle. C'est à dire que les produits,
les méthodes et les techniques nées à la fin du XIX°
siècle et qui participent à la seconde révolution industrielle
arrivent à maturité pendant cette période des 30 glorieuses.
Ainsi, en ce qui concerne les méthodes de production , le Fordisme et
le Taylorisme (travail à la chaîne, standardisation des productions,
chronométrage) sont définitivement adoptées comme règle
d'organisation des unités de production. L'ouvrier qualifié sachant
tout faire et dorénavant supplanté par l'ouvrier spécialisé
formé à une tache et une seule : gain de temps, gain d'argent
( l'OS moins qualifié est moins payé). Bref ces progrès
ont permis aux entreprises de réaliser des gains de productivité
(le rapport entre ce qui est produit et ce qui est mis en uvre dans la
production) et ont donc permis de produire plus pour moins cher. Une autre conséquence
de la généralisation de Fordisme et du Taylorisme est l'obligation
de créer des usines de grandes dimensions employant des milliers d'ouvriers.
L'usine de Boulogne-Billancourt de Renault en est un bon exemple. Les entreprises
ont donc besoin de mobiliser toujours plus de capitaux, d'où le mouvement
de concentration observé à cette époque aboutissant à
la création de véritables firmes multinationales : IBM, General
Motors, Renault etc
2. Le rôle des innovations
En ce qui concerne les techniques, l'offre a pu bénéficier des
progrès scientifiques réalisés au cours de la période.
Ainsi, la course aux armements liée à la guerre froide a suscité
une recherche fondamentale et appliquée dont a pu bénéficier
l'industrie militaire mais aussi et surtout l'industrie civile. Par exemple,
la conquête spatiale qui est liée à l'affrontement Est-Ouest
(finalement à quoi sert de faire tourner une boule qui fait bip-bip autour
de la terre, sinon pour montrer à l'adversaire qu'on a les moyens de
lui envoyer une bombe H à l'aide d'un missile intercontinental) a permis
de faire des découvertes et de déposer des brevets, et qui sont
devenus ensuite des innovations accessibles au consommateur, comme les transistors
et les microprocesseurs utilisés dans les systèmes de guidage.
Car c'est la particularité de cette période, à savoir le
raccourcissement du passage de la découverte à l'application industrielle.
Le doc.5 p.103 est éclairant : il a fallu 112 ans pour passer de l'invention
de la photographie à son application industrielle, seulement 3 ans pour
le circuit intégré
En conséquence, ces innovations
ont permis aux entreprises d'améliorer sans cesse leur productivité
et la qualité de leurs produits et surtout ont pu par de nouveaux produits
susciter une demande et créer ainsi de nouveaux marchés ( Qui
aurait eu l'idée d'acheter un transistor avant son invention ?).
3. La transformation de la main d'uvre
Enfin, pour que les coûts de production soient les plus faibles possibles,
il faut pouvoir compter sur une main d'uvre, des matières premières
et une énergie peu onéreuses. Pour l'énergie, on a vu dans
la première partie que le pétrole a été la solution.
Pour les matières premières, leur extraction est contrôlée
par des grands groupes originaires des pays industrialisés qui ont intérêt
à maintenir des prix relativement faibles, d 'autant plus que les coûts
de transports ont fortement baissé. Pour la main d'uvre, les industriels
ont pu compter dans les pays développés sur une population de
mieux en mieux formée grâce à l'allongement de la durée
des études (le doc.1 p.358 montre qu'il y a quatre fois plus de bacheliers
en France en 1970 qu'en 1946). En ce qui concerne la main d'uvre peu qualifiée
essentielle dans le fonctionnement du modèle fordiste, les industriels
des pays développés ont systématiquement fait appel à
l'immigration originaire du Tiers-Monde. C'est ainsi que des dizaines de milliers
de Maghrébins ont quitté leurs pays pour s'installer en France
et travailler, entre autres, en tant qu'ouvriers spécialisés (OS)
sur les chaînes de montage des usines automobiles.
Bref, une offre qui a toujours su pendant les 30 glorieuses s'adapter, répondre,
voire susciter une demande toujours plus importante.
B La demande
La demande est la deuxième partie de l'équation essentielle et
nécessaire pour assurer la prospérité de l'économie.
Or pendant les 30 glorieuses, cette demande a été en constamment
en expansion, et ce pour plusieurs raisons.
1. L'augmentation du nombre de consommateurs
En premier lieu, la consommation augmente parce qu'il y a plus de consommateurs.
En effet la natalité des pays développés a considérablement
augmenté dans les pays développés depuis la fin de la Seconde
Guerre mondiale. C'est le fameux Baby boom des années 50 et 60, période
pendant laquelle la fécondité des pays industrialisés dépasse
largement les 2,1 enfants par femme (seuil de renouvellement des générations).
En conséquence, un surplus de consommateurs qui se fait surtout sentir
dans les années 60.
2. Le développement des échanges
D'ailleurs ce baby boom a eu également l'avantage de rajeunir la population
et les mentalités.
D'autre part, les entreprises ont trouvé de nouveaux consommateurs par
la conquête des marchés étrangers. En effet, l'internationalisation
de l'économie pendant les trente glorieuses a permis de sortir du cadre
étroit des marchés nationaux. Le doc.1 p.104 montre ainsi que
le volume des exportations a cru plus vite que le volume de la production. Cette
internationalisation est due à deux facteurs principaux. D'une part,
une baisse des tarifs douaniers et le début d'un démantèlement
des mesures protectionnistes est engagée pendant cette période.
Cette libéralisation des échanges s'est faite progressivement
sous l'égide du GATT. (voir le cours sur le bilan de la guerre et en
particulier le chapitre sur les accords de Bretton Woods). D'autre part, les
transports ont connu toujours pendant la même période une véritable
révolution résultant en une baisse des coûts du fret. Un
exemple parmi d'autres : celui du fret aérien. En 1950, un avion commercial
réalise la traversée Paris New York en 18 heures et avec un maximum
de 50 passagers, en 1970, le Boeing 747 transporte 400 passagers en 7 heures
sur la même distance
3. L'augmentation du pouvoir d'achat
Il y a donc non seulement plus de consommateurs mais aussi ces consommateurs
ont développé leur propension à consommer. En effet au
début de la période il a fallu reconstruire les pays touchés
par les destructions du conflit, c'est à dire l'ensemble de l'Europe,
le Japon et une partie de l'Asie. Ensuite, les changements dans les habitudes
de consommation décrits dans la première partie ont pris le relais.
Et la généralisation des pratiques publicitaires ont maintenu
cette propension à consommer à un haut niveau.
Encore faut-il donner à ces consommateurs les moyens d'acheter. Or on
constate que le pouvoir d'achat des salariés a fortement augmenté
au cours de la période. Un exemple : en 1948, pour acheter une Citroën
2 CV, il fallait gagner le salaire équivalent à 2652 heures travaillées.
En 1974, il ne fallait plus que 1035 heures pour acheter la même voiture
: le pouvoir d'achat a été multiplié par 2 . Comment ?
D'une part parce que Citroën a pu faire baisser la valeur de ses voitures
par ses gains de productivité. D'autre part, Citroën et les autres
entreprises ont redistribué une partie de leurs bénéfices
sous la forme d'augmentation de salaires, d'autant plus que les organisations
syndicales régénérées par la Seconde Guerre mondiale
n'ont jamais été aussi puissantes. Il faut dire également
que les 30 glorieuses sont une période de plein-emploi, qu'il y a généralement
une rareté de main d'uvre plutôt qu'un trop plein, ce qui
permet aux salariés de négocier avec le patronat en position de
force.
Autre élément important, pourtant généralement passé
sous silence par la plupart des manuels, sont les progrès de la mensualisation,
c'est à dire le fait de recevoir le salaire chaque fin de mois au lieu
de chaque fin de semaine. La mensualisation permet au salarié de dégager
de plus grosses sommes pour sa consommation. Et puis si l'argent vient à
manquer, le développement du crédit à la consommation permet
la poursuite de la consommation. D'autant plus que l'inflation persistante qui
caractérise les 30 glorieuses donnent l'avantage aux débiteurs
au détriment des créanciers.
Et puis dans cette équation de l'offre et de la demande arrive un nouvel
acteur, l'Etat, et c'est une autre particularité des 30 glorieuses.
L'Etat
1. Les progrès du dirigisme
Pendant très longtemps, la pensée économique a été
dominée par le courant libéral qui préconisait le "
laisser-faire ", c'est à dire la non intervention des pouvoirs publics
dans l'économie. Or sous l'influence des idées de l'économiste
britannique Keynes, avec l'expérience du New Deal Rooseveltien et surtout
avec l'arrivée au pouvoir au lendemain de la guerre des partis de gauche
soucieux de promouvoir l'égalité sociale, l'Etat est propulsé
comme acteur à part entière de l'économie.
En France, au Royaume-Uni, dans la plupart des pays ouest-européens,
au Japon, l'après-guerre est marqué par la mise en place d'un
Etat-providence, c'est à dire un Etat qui intervient pour réguler
la machine économique et qui se pose également comme un "
filet de sécurité " social. Dans le cas français,
l'Etat a pris le contrôle de certains secteurs clés de l'économie
par des nationalisations : transport (SNCF), énergie (EDF, Charbonnages
de France), crédit ( Banque de France),etc
Toujours en France,
une planification souple est instaurée. Ainsi, les Etats ont su réguler
la conjoncture avec les divers moyens dont ils disposent dorénavant.
Par exemple, en cas de ralentissement de la croissance, les pouvoirs publics
réduisent les taux d'intérêt ou augmentent les dépenses
budgétaires pour relancer la consommation. En cas de surchauffe la politique
contraire est mise en place. Bref, si la croissance des 30 glorieuses ne s'est
pas essoufflée c'est aussi grâce à l'action des politiques
gouvernementales.
2. L'Etat-providence
Enfin l'Etat-providence (Welfare-State en anglais) par l'institution d'une sécurité
sociale (assurance chômage, caisse de retraite, assurance maladie) et
par l'institution d'un salaire minimum garanti (cas français), a contribué
largement à soutenir, voire à augmenter le pouvoir d'achat des
salariés et donc à soutenir l'activité. (pour vous entraîner
au bac et en savoir plus sur l'Etat-providence, il n'est pas interdit de faire
l'étude de documents pp112-113)
L'étude des facteurs de la prospérité a donc mis en évidence
des éléments originaux, comme les transformations de l'offre ou
encore le rôle de l'Etat. Néanmoins, comme toutes les autres phases
de croissance qu'a connu l'économie capitaliste, cette prospérité
n'est pas exempte de limites et de déséquilibres.
III Les déséquilibres et les limites de la prospérité
Une croissance inégalement partagée
1. Les inégalités à l'échelle de la planète
Cette croissance inégalement partagée se mesure à deux
échelles distinctes : à l'échelle de la planète
et à l'échelle des pays, c'est à dire à l'intérieur
même de chaque société.
A l'échelle mondiale, tous les pays du Monde n'ont pas contribué
également à la croissance mondiale. En fait la croissance du PNB
mondial résulte pour une grande part de celle de quelques pays développés,
principalement les 6 pays les plus riches, les Etats-Unis, le Japon, l'Allemagne,
la France, le Royaume-Uni et l'Italie. Ces 6 pays contribuent ensemble pour
près des 2/3 du PNB mondial (doc.1 p.108 quelques statistiques qui incluent
l'URSS parmi les 6 pays les plus riches). Une partie du Monde n'est pas concernée
par la croissance des 30 glorieuses : c'est bien évidemment le monde
socialiste qui sur la même période semble déjà perdre
du terrain sur son rival capitaliste. C'est aussi à cette époque
que l'on commence à parler du Tiers-Monde. En effet, si tous les pays
du Monde à économie de marché ont connu une croissance,
il est utile de mesurer cette dernière en fonction de l'accroissement
démographique. Or la natalité des pays du Tiers-Monde est extrêmement
importante, et on constate qu'en réalité le PNB par habitant n'a
que faiblement augmenté dans la plupart des pays africains, dans quelques
pays d'Amérique latine et d'Asie. De plus, il semble bien que la prospérité
des pays développés se fait aux dépens des pays du Tiers-Monde
car ceux-ci sont maintenus dans une dépendance économique et pâtissent
de termes de l'échange très défavorables. En effet le cours
des matières premières et des produits énergétiques,
principalement fournis par des pays du Tiers-Monde est resté très
bas pendant toute la période. Une situation dangereuse pour la stabilité
de l'économie mondiale, surtout rétrospectivement avec le choc
pétrolier.
2. Les inégalités régionales
A l'échelle des pays, on constate également des inégalités
régionales, comme si certaines régions avaient été
" oubliées par la croissance ". C'est ainsi le cas de régions
rurales victimes de la déprise (départ des ruraux et des activités
agricoles) comme le Limousin en France, le Mezzorgiorno italien (le Sud). D'autres
souffrent de l'essoufflement des industries anciennes, le Nord de la France
ou encore les Black Countries britanniques dont l'économie repose essentiellement
sur les activités textiles, sidérurgiques et minières.
Enfin, à l'intérieur des pays les plus riches, les 30 glorieuses
n'ont pas fait disparaître la pauvreté. Il n'y a certes pas de
chômage massif, mais il subsiste de la précarité et aussi
de nombreux emplois mal payés qui suffisent à peine pour vivre
dignement. Ce sont les laissés pour compte de la croissance et ce sont
généralement des immigrés, des mères célibataires
ou encore des personnes âgées. En France même, il subsiste
des bidonvilles jusqu'au début des années 70 (voir la photo du
bidonville de Nanterre, doc.5 p.109), même si ces bidonvilles français
sont plus liés à une crise du logement qu 'à un problème
de pauvreté. Les inégalités sociales restent donc très
importantes, en particulier dans les pays qui n'ont pas mis en place d'Etat-providence,
comme les Etats-Unis.
Ce quart-Monde est d'autant plus choquant qu'il subsiste dans une ère
de prospérité, au mépris de l'enrichissement du plus grand
nombre et amène ainsi certains à s'interroger sur cette croissance.
La contestation de la croissance
1. Les oubliés de la croissance
La découverte de la pauvreté dans les années 60 dans les
pays riches amène une contestation de la croissance par la jeunesse,
et les mouvements proches de l'extrême gauche. Ce n'est d'ailleurs pas
un hasard, si le mouvement de mai 68 est parti de l'université de Nanterre,
à deux pas du bidonville
..
Donc, dès les années 60, le problème d'une meilleure répartition
des fruits de la croissance est devenu une source de débat dans les pays
développés. Ce débat a donné lieu à deux
types de réponses, institutionnelle et libertaire. La réponse
institutionnelle ce sont les actions des pouvoirs publics, comme le projet de
nouvelle société aux Etats-Unis sous l'administration Johnson
(voir cours sur le modèle américain), ou en France avec l'action
du Premier ministre Jacques Chaban Delmas au début des années
70. Toujours dans les années 60, les conflits sociaux ont été
plus nombreux et ont permis aux salariés d'obtenir une amélioration
de leurs conditions de travail et de leurs salaires (les accords de Grenelle
en 1968 par exemple).
2. Essor de la contre-culture
Mais parallèlement se développe une contestation bien plus radicale,
beaucoup plus large, qui va au-delà de la simple demande d'une meilleure
répartition des fruits de la croissance. Il s'agit en fait d'une contestation
générale de la société de consommation, voire de
l'économie capitaliste. Elle est principalement le fait de la jeunesse,
de cette génération du baby boom, qui critique leur vie réglée
et standardisée tendue vers un seul but : s'enrichir toujours plus. En
France c'est la critique du fameux " métro, boulot, dodo ",
et cela se transforme quelquefois en une véritable révolte comme
en mai 68. Cette critique sociale rejoint la sphère politique car elle
prend les traits de l'antiaméricanisme, les Etats-Unis étant le
pays symbole du capitalisme et de la société de consommation.
On comprend alors mieux l'essor à la fin des années 60 et début
des années 70 des mouvements gauchistes, anarchistes ou écologistes
qui proposent tous une alternative à la société de consommation.
La critique prend quelquefois des formes insolites comme en France où
quelques personnes décident de renoncer à la vie moderne pour
s'établir dans le rural profond (le plateau du Larzac par exemple) et
échapper ainsi au consumérisme ambiant en pratiquant une agriculture
vivrière. Aux Etats-Unis, la critique sociale existe et prend la forme
de la contre-culture et en particulier le mouvement hippie. Le Rock n'Roll,
la littérature de la beat generation, la peinture de Warhol sont bien
une critique de la société de consommation même si celle-ci
a récupéré le mouvement.
3. Les interrogations sur la croissance
Enfin, les contemporains commencent à réfléchir sur l'épuisement
du système. En effet, produire toujours plus, consommer toujours plus,
mais jusqu'où et pourquoi faire ? Les richesses sont-elles donc inépuisables
? Sûrement pas lorsqu'on sait qu'une voiture américaine des années
60 consomme en moyenne 30 litres au 100 d'essence et qu'en 1970 les ressources
de pétrole sont estimées à 30 ans de consommation ! D'autre
part, la pollution de l'atmosphère et des eaux provoquée par l'activité
économique commence à interpeller. Ainsi le drame de la pollution
au mercure de la baie de Minamata au Japon dans les années 50, a permis
à l'opinion publique de poser le problème d'une croissance sauvage
qu'il conviendrait de maîtriser. Ces interrogations sont formalisées
par le " club de Rome " qui réunit des hommes d'affaires, des
chercheurs et des universitaires à partir de 1968. Ce club publie des
rapports sur le devenir écologique et économique de la planète.
Or le rapport " Halte à la croissance " de 1971 est une vraie
" bombe " car il vulgarise la notion de " croissance zéro
". (doc.4 p.109 courbes et texte à lire absolument). Plus anecdotique,
un homme politique néerlandais,Mansholt, propose de substituer le PNB
par le BNB, le Bonheur National Brut
Ces contestations et ces interrogations deviennent plus prégnantes à
la fin des années 60 et au début des années 70 au moment
même où la croissance s'essoufle et s'annoncent les premières
difficultés.
L'inflation et l'ébranlement du système monétaire international.
1. Une inflation endémique
C'est une particularité des 30 glorieuses : une croissance qui s'est
accompagnée d'une inflation relativement importante. Cette inflation
est née de la pénurie de l'après-guerre et a persisté
car la croissance s'accompagne naturellement d'une augmentation de la masse
monétaire. La particularité n'est donc pas qu'il y ait de l'inflation,
mais que celle-ci ait été plus rapide que la croissance de la
production. Fondamentalement l'inflation n'est pas une mauvaise chose car elle
réduit l'endettement et si elle est une menace pour le pouvoir d'achat,
celui-ci n'en a pas souffert car les salaires ont grimpé plus vite que
l'inflation. Seulement, c'est une menace pour la croissance si cette inflation
s'emballe par exemple sous le coup d'une hausse des prix des matières
premières
D'ailleurs la deuxième moitié des années
60 est caractérisée par une accélération de l'inflation.
Enfin, le différentiel d'inflation entre les pays peut mettre en danger
la parité des monnaies et introduire ainsi de l'instabilité monétaire.
2. La remise en cause du SMI
Justement, si la croissance fut aussi durable, c'est aussi parce que le système
monétaire international (SMI) élaboré à Bretton
Woods en 1944 a permis une stabilité des changes, favorable au développement
du commerce international. Ce SMI dont le gardien était le FMI, était
fondé sur le double étalon or-dollar, toutes les monnaies des
pays membres du FMI étant évaluées selon un système
de change fixe. Selon ce système, chaque membre était obligé
de respecter une certaine orthodoxie financière, lui interdisant les
déficits de paiement prolongés. En fait seuls les Etats-Unis pouvaient
prendre quelques libertés étant donné que leur monnaie
constituait l'étalon, et que de toute façon, 1 once d'or serait
toujours égale à 35$ (voir le cours sur Bretton Woods ou demandez
plus d'explications à votre prof parce que c'est compliqué). Or
le problème est que les Etats-Unis sont en constant déficit depuis
les années 50, et surtout depuis la guerre du Vietnam. Résultat,
le dollar perd de son crédit et les réserves d'or de Fort Knox
diminuent devant les demandes de conversion de dollars en or. Rapidement, les
Etats-Unis deviennent incapables de faire face aux demandes de conversion et
en 1971, le président Nixon doit suspendre la convertibilité du
$ en or. C'est la fin du système mis en place à Bretton Woods,
confirmée à la conférence de la Jamaïque en 1976.
Concrètement en 1971, on est revenu à un système de change
flottant (les monnaies s'appréciant ou se dépréciant les
unes vis à vis des autres), c'est à dire que l'instabilité
devient la règle alors que la stabilité des changes avait été
l'un des moteurs de la croissance. Bref l'ébranlement du SMI annonce
déjà la crise des années 1973-1974.
Conclusion
La croissance économique des 30 glorieuses est remarquable avant tout
par ses manifestations car les sociétés des pays industrialisés
ont été profondément bouleversées. Remarquable à
certains points de vue dans ses facteurs, en particulier dans le rôle
joué par les pouvoirs publics. Mais avec le recul de l'Historien, il
est nécessaire de remettre cette période en perspective dans le
cadre de cycles économiques, et admettre ainsi que les 30 glorieuses
ne sont en fait qu'un mouvement A de Kondratieff ( suivez l'explication qui
vous en sera faite en cours) correspondant à l'épanouissement
de la Seconde révolution industrielle.
D'ailleurs dans cette phase de croissance s'annoncent déjà les
signes d'un retournement de conjoncture et d'un mouvement B de Kondratieff,
à savoir la crise de 1973-1974 et la grande récession.